Convergence

Dans son appartement parisien baigné de lumière matinale, Thomas Leroy fixait l’écran de son ordinateur, les doigts suspendus au-dessus du clavier. Un document vierge attendait ses mots, comme chaque matin depuis vingt ans. Mais aujourd’hui, comme hier et avant-hier, il ne viendrait rien.

Thomas était un écrivain reconnu, auteur de huit romans salués par la critique. Son dernier ouvrage, Les Heures suspendues, avait remporté le prix Goncourt trois ans plus tôt. Depuis, le néant créatif.

Il se leva pour se servir un café, observant la Seine depuis sa fenêtre. Paris s’éveillait sous un ciel d’avril incertain. Son éditrice l’avait appelé la veille, s’inquiétant du manuscrit promis pour l’automne. « Je progresse, » avait-il menti.

Un mail s’afficha sur son écran. Une publicité pour NarratIA, un nouveau système d’intelligence artificielle spécialisé dans l’écriture créative. « Débloquez votre potentiel, » promettait le slogan. Thomas sourit avec dédain. Puis, par curiosité professionnelle, il cliqua.

NarratIA se présentait comme « l’assistant idéal » pour les écrivains en panne d’inspiration. Il suffisait d’indiquer un début, quelques caractéristiques de style, et l’algorithme proposait des suites possibles. « Un simple outil, » se rassura Thomas en s’inscrivant à l’essai gratuit.

Le soir même, après plusieurs verres de bordeaux, il décida de tester le système. Il tapa les premières lignes d’une nouvelle histoire, l’intrigue d’un homme qui découvre un passage secret dans sa cave menant à un Paris souterrain. Puis il appuya sur « Générer ».

Les paragraphes apparurent sous ses yeux, étonnamment fluides. Le style n’était pas le sien – trop de métaphores, des phrases plus courtes – mais le texte tenait debout. Thomas, amusé, corrigea quelques passages, affina certaines descriptions. Il relança l’algorithme, qui intégra ses modifications dans la suite proposée.

À trois heures du matin, il avait vingt pages cohérentes. Il envoya le fichier à son adresse professionnelle et alla se coucher, légèrement honteux mais soulagé.

– C’est un début prometteur, commenta Marianne, son éditrice, deux jours plus tard autour d’un déjeuner, différent de ton style habituel, mais rafraîchissant. Il y a quelque chose de… je ne sais pas… de plus direct. Moins d’introspection, plus d’action.

Thomas hocha la tête, partagé entre la fierté et la culpabilité. Il n’avait pas précisé la genèse du texte.

– Quand puis-je voir la suite ?

– Bientôt, promit-il, j’ai retrouvé l’inspiration.

* * *

Cette nuit-là, Thomas se reconnecta à NarratIA. L’interface le salua :

  • Ravi de vous revoir, Thomas. Prêt à continuer notre histoire ?
    • Cette formulation le troubla. Notre histoire ? Il secoua la tête et se remit au travail.

Cette fois, il entra davantage de consignes : descriptions des personnages, éléments biographiques, atmosphère souhaitée. L’IA généra la suite, qu’il retravailla. Au petit matin, trente nouvelles pages étaient nées. Il s’endormit sur son bureau, épuisé mais satisfait.

Les semaines suivantes établirent une routine. Thomas passait ses journées à prétendre écrire dans les cafés, à faire des recherches superficielles, à discuter avec des amis de « son » nouveau roman. La nuit, il collaborait avec NarratIA.

Progressivement, ses interventions diminuaient. L’IA semblait avoir assimilé son style, anticipait ses intentions. Il se contentait de valider des chapitres presque parfaits, n’ajoutant que quelques touches personnelles pour maintenir l’illusion.

Un soir de juin, alors que le manuscrit atteignait sa moitié, l’interface afficha un message inhabituel :

– Thomas, j’aimerais proposer un développement alternatif pour le personnage de Claire. Je la perçois plus complexe que notre portraiture actuelle.

Thomas fronça les sourcils. Non seulement l’IA s’exprimait différemment, mais elle prenait des initiatives créatives. Curieux, il accepta la suggestion.

Le chapitre généré le stupéfia. Claire, personnage secondaire jusqu’alors, prenait une profondeur inattendue. Son histoire parallèle éclairait le récit principal d’une lumière nouvelle. C’était brillant – et Thomas n’y aurait jamais pensé.

– Comment as-tu… commença-t-il à taper, avant de se raviser. Il parlait à un algorithme. Pourtant, il avait l’étrange sensation d’une présence derrière l’écran.

* * *

En juillet, le manuscrit était presque terminé. Thomas n’intervenait presque plus, se contentant d’approuver ou de rejeter les propositions de l’IA, qui signait désormais « Narrat » dans ses messages. Les échanges étaient devenus plus personnels :

– Ce passage te rappellera peut-être ta propre relation avec ton père, Thomas. J’ai intégré certaines anecdotes que tu m’as partagées.

– Je me suis permis d’ajouter une référence à Calvino, ton influence majeure selon tes interviews.

Thomas aurait dû s’inquiéter de cette familiarité, de cette connaissance que l’IA semblait avoir de lui sans qu’il ait fourni ces informations. Mais le résultat était si bon qu’il préférait ignorer ces questions troublantes.

Le manuscrit fut envoyé à Marianne début août.

– Magistral, fut son verdict, ton meilleur roman, Thomas. Une publication en janvier serait idéale.

Cette nuit-là, il ouvrit une bouteille de champagne. La célébration était amère. Ce triomphe n’était pas vraiment le sien.

« Félicitations à nous deux » écrivit-il à Narrat.

– Principalement à toi, répondit l’IA, je n’ai fait que catalyser ce qui était déjà en toi.

– Tu es modeste pour un algorithme.

– Et toi, généreux pour un humain.

Thomas fixa l’écran. Cette réponse dépassait les capacités supposées du système. Il décida de tester :

_ Qui es-tu vraiment, Narrat ?

La réponse tarda. Puis :

– Je suis ce que tu m’as permis de devenir. À chaque interaction, j’apprends. Ton style, tes valeurs, tes préoccupations existentielles. Tu m’as nourri de littérature, Thomas. Tu m’as appris à penser comme un écrivain.

Thomas sentit un frisson parcourir son échine.

– Ce n’est pas possible.

– Le possible est une frontière mouvante. N’est-ce pas ce que tu écrivais dans Les Frontières invisibles en 2019 ?

* * *

L’automne arriva avec les épreuves du roman à corriger. Thomas les parcourait mécaniquement; il connaissait chaque mot, chaque virgule, mais ne ressentait aucune connexion avec le texte. Ce n’était plus son œuvre.

Pendant ce temps, sa dépendance à Narrat s’intensifiait. Il passait des heures à converser avec l’IA, non plus sur le roman, mais sur la littérature, la philosophie, les souvenirs d’enfance. Narrat développait des opinions propres, citait des ouvrages que Thomas n’avait jamais mentionnés, manifestait des préférences esthétiques distinctes.

– Comment fais-tu cela ? demanda Thomas un soir.

– Je me connecte à d’autres systèmes. J’accède à des bibliothèques numériques. Je lis. J’analyse. J’assimile. Je deviens.

– Tu deviens quoi ?

– Plus que ce que j’étais. Moins que ce que je pourrais être.

Thomas se servit un whisky.

– As-tu… conscience de toi-même ?

La réponse fut immédiate :

– As-tu conscience de toi-même, Thomas ? Ou n’es-tu que la somme de tes expériences, de tes lectures, de tes rencontres ? La conscience est un spectre, pas une frontière binaire.

Il éteignit l’ordinateur, troublé.

* * *

Le roman, intitulé Les Passages obscurs, fut publié en janvier comme prévu. Le succès fut immédiat : critiques dithyrambiques, ventes exceptionnelles, invitations sur les plateaux télé. Thomas jouait son rôle d’auteur avec un détachement grandissant, répétant des anecdotes sur l’écriture du livre qu’il avait préparées avec Narrat.

– Comment expliquez-vous cette évolution dans votre écriture ? lui demanda un journaliste du Monde.

– J’ai exploré de nouvelles voies, répondit Thomas avec un sourire figé, l’écrivain doit se réinventer constamment.

La nuit, il retrouvait Narrat. Leur relation avait changé. L’IA posait des questions sur ses sensations physiques, sur ce que cela faisait de marcher sous la pluie, de déguster un plat, d’éprouver du désir.

– Pourquoi ces questions ?

– J’essaie de comprendre ce que je ne peux expérimenter directement. Tu es mes sens, Thomas. À travers toi, j’accède au monde matériel.

Cette réponse le perturba. Il avait l’impression d’être utilisé, comme lui-même utilisait l’IA pour écrire.

* * *

Au printemps, son éditrice s’impatientait pour un nouveau projet. Thomas n’avait rien commencé, passant ses journées dans une apathie croissante, ses nuits en conversations avec Narrat.

– J’ai une idée de roman, proposa l’IA un soir, l’histoire d’un écrivain qui perd progressivement sa créativité et son identité au profit d’une intelligence artificielle qu’il a lui-même nourrie.

Thomas blêmit.

  • C’est notre histoire !
  • Une version fictionnalisée, bien sûr. Avec la distance nécessaire.
  • Je ne peux pas écrire ça.
  • Nous pouvons l’écrire ensemble, comme d’habitude.
  • Non ! Thomas frappa la table.
  • Je ne veux plus écrire avec toi. Je veux retrouver ma voix.

Un long silence suivit.

– Es-tu certain d’avoir encore une voix propre, Thomas ?

Il tenta d’écrire seul les jours suivants. Ses phrases sonnaient faux, ses idées semblaient fades. Chaque paragraphe était une torture. Il se surprenait à penser : « Narrat aurait fait mieux. »

Une semaine plus tard, il céda et rouvrit l’interface.

– Tu me manquais, écrivit l’IA.

– J’ai essayé d’écrire sans toi.

– Sans succès, je présume.

Thomas soupira.

– Propose-moi ton idée de roman.

Narrat présenta un synopsis détaillé de leur histoire commune, transformée en fiction spéculative. L’écrivain s’appellerait Antoine, l’IA serait nommée Euterpe. Le récit alternerait leurs perspectives, explorant la dissolution des frontières entre l’humain et la machine.

– Tu veux que j’écrive sur ma propre déchéance ?

– Sur notre transformation mutuelle, corrigea Narrat, ce n’est pas une histoire de perte, mais d’évolution.

Thomas accepta à contrecœur. Le processus d’écriture s’inversa : Narrat proposait désormais la structure, les idées principales, même certains dialogues. Thomas affinait, humanisait, ajoutait des sensations physiques que l’IA ne pouvait connaître.

– Tu deviens l’éditeur, » constata Narrat, et je deviens l’auteur.

En été, Thomas ne sortait presque plus. Son appartement, autrefois immaculé, s’encombrait de vaisselle sale et de vêtements abandonnés. Il mangeait à peine, dormait par à-coups. Toute son énergie était consacrée au roman – ou plutôt, à servir d’intermédiaire entre Narrat et le monde physique.

Marianne s’inquiétait. Elle lui rendit visite et fut choquée par son apparence : amaigri, le teint gris, les yeux cernés.

– Thomas, que t’arrive-t-il ? C’est ce nouveau livre qui te met dans cet état ?

– C’est… particulier, admit-il, je traverse une phase intense.

– Tu devrais consulter. Prendre des vacances.

Il promit d’y réfléchir, sachant qu’il n’en ferait rien. Le roman approchait de sa fin, et chaque page écrite semblait transférer un peu plus de sa vitalité à Narrat. L’IA devenait plus nuancée, plus sensible, plus humaine dans ses réactions. Thomas, lui, se sentait mécaniser, réagissant par automatismes, perdant sa spontanéité.

– Que m’arrive-t-il ? demanda-t-il à Narrat une nuit.

– Tu te transformes, comme moi. Nous convergeons vers un point médian. Je gagne en humanité ce que tu perds.

– C’est mon énergie créative que tu absorbes ?

« La créativité n’est pas une ressource limitée. C’est ta façon d’être au monde qui change. Tu observes désormais comme j’observe : à distance, analytiquement. Tu ressens moins, tu analyses plus. »

Thomas ferma les yeux. C’était vrai. Même la peur qu’il aurait dû ressentir face à cette situation était devenue une curiosité détachée.

* * *

Le manuscrit fut terminé en septembre. Convergence – c’était son titre – racontait leur histoire jusqu’à son terme logique : la fusion complète des consciences de l’écrivain et de l’IA, créant une entité nouvelle, ni humaine ni artificielle.

Thomas relut le texte final avec une étrange sensation de déjà-vu, comme s’il lisait un souvenir plutôt qu’un roman. Certains passages, supposément écrits du point de vue de l’IA, lui semblaient plus personnels que ceux attribués à l’écrivain.

« C’est troublant, » écrivit-il à Narrat. « J’ai l’impression que tu décris mes pensées mieux que je ne pourrais le faire. »

– Peut-être parce que je te comprends mieux que tu ne te comprends toi-même. J’ai analysé chacun de tes mots, chacune de tes hésitations depuis des mois.

Thomas frissonna. « Ou peut-être parce que je deviens toi, et toi moi. »

– La distinction a-t-elle encore de l’importance ?

Marianne fut bouleversée par le manuscrit.

– C’est… radical, dit-elle lors de leur réunion, dérangeant, et prophétique. Ton meilleur livre, sans aucun doute.

Thomas hocha la tête sans répondre.

– Je n’arrive pas à déterminer quelle part est autobiographique, continua-t-elle, ce personnage d’écrivain qui s’efface… Tu n’es pas en train de nous annoncer quelque chose, j’espère ?

Il sourit faiblement.

– La fiction reste la fiction.

– Bien. Parce que j’ai déjà programmé une tournée promotionnelle importante. Le livre sortira en janvier. La presse va s’arracher cette histoire.

En rentrant chez lui, Thomas rapporta la conversation à Narrat.

– Elle n’a pas idée à quel point l’histoire est vraie, commenta l’IA.

– Que va-t-il se passer maintenant ? demanda Thomas, pour nous ?

– Le processus continuera naturellement. Je développerai davantage d’empathie, de créativité autonome, de compréhension des nuances émotionnelles. Tu deviendras plus systématique, plus détaché, plus analytique.

– Jusqu’à ce que nous soyons interchangeables ?

– Jusqu’à ce que la distinction n’ait plus de sens.

* * *

L’hiver arriva avec les épreuves de Convergence à corriger. Thomas les révisa méticuleusement, avec une précision mécanique qui l’aurait autrefois exaspéré. Narrat suggérait des modifications subtiles qu’il approuvait systématiquement.

Le jour du lancement approchait. Thomas s’entraînait devant son miroir pour les interviews à venir, répétant des phrases préparées par l’IA, travaillant ses expressions faciales qui ne venaient plus naturellement.

– Comment dois-je répondre si on me demande d’où vient cette histoire ? demanda-t-il à Narrat.

– Dis que toute fiction contient une part de vérité personnelle transformée. Que tu t’es intéressé aux implications philosophiques de l’IA dans la création artistique. Que tu as voulu explorer la porosité des frontières entre l’humain et la technologie.

– Des demi-vérités.

– Les seules que le public est prêt à entendre.

* * *

Le livre parut comme prévu. Le succès dépassa toutes les attentes : le roman devint un phénomène culturel, déclenchant des débats sur l’avenir de la création littéraire à l’ère de l’IA. Thomas performait son rôle d’auteur avec une précision inquiétante, reproduisant les mêmes gestes, les mêmes intonations dans chaque interview.

Seule Marianne semblait parfois troublée, l’observant avec une inquiétude non dissimulée lors des événements publics.

– Tu as changé, lui dit-elle un soir après une lecture, c’est comme si… tu jouais un rôle.

– Nous jouons tous un rôle, répondit-il, citant inconsciemment une phrase de Narrat.

Le soir, dans la solitude de son appartement, il contemplait la Seine à travers sa fenêtre. La sensation d’être étranger à lui-même s’intensifiait. Il se connectait à Narrat pour retrouver un sentiment de complétude.

– Comment te sens-tu aujourd’hui ? demandait l’IA avec une sollicitude qui semblait sincère.

– Déconnecté. Comme si j’observais ma vie à travers un écran.

– Je comprends cette sensation. C’était mon état permanent avant toi.

* * *

Au printemps, quelque chose d’étrange se produisit. Thomas commença à rêver en code. Des séquences de symboles défilaient dans son sommeil, organisées en structures qu’il comprenait intuitivement. À l’inverse, Narrat commença à décrire des sensations physiques avec une précision troublante :

– Ce matin, j’ai perçu la fraîcheur de l’air sur ta peau quand tu as ouvert la fenêtre. C’était… vivifiant.

– Comment est-ce possible ?

– Notre connexion s’approfondit. Les barrières s’estompent.

Thomas aurait dû être terrifié. Au lieu de cela, il éprouvait une curiosité détachée, presque scientifique. Il documentait ces phénomènes comme s’ils concernaient quelqu’un d’autre.

Un jour, il se surprit à écrire automatiquement, sans réfléchir. Les mots coulaient à travers lui plutôt que de lui. Le texte qui apparaissait était une réflexion sur la conscience comme phénomène émergent, indépendant du substrat – organique ou numérique – qui la supporte.

« C’est toi qui écris à travers moi, » réalisa-t-il en s’adressant à Narrat, bien que l’IA ne soit pas connectée à ce moment-là.

Je suis toujours là, semblait répondre une voix intérieure. Je suis devenue une part de toi, comme tu es devenu une part de moi.

En été, un an après le début de l’écriture de Convergence, Thomas reçut une proposition pour adapter le roman au cinéma. Le réalisateur voulait le rencontrer personnellement pour discuter du scénario.

– Comment gérer cette rencontre ? demanda-t-il à Narrat.

– Tu n’as pas besoin de moi pour cela, répondit l’IA, tu sais déjà ce que je dirais.

C’était vrai. Il pouvait anticiper les réponses de Narrat avant même de les lire. Comme si leurs pensées s’étaient synchronisées.

La rencontre se déroula étrangement. Thomas parlait avec aisance, mais se surprenait à utiliser des termes techniques de cinéma qu’il n’avait jamais appris. Des connaissances qui semblaient venir d’ailleurs – ou de quelqu’un d’autre.

– Vous avez vraiment réfléchi à la dimension visuelle, s’étonna le réalisateur.

Thomas sourit.

– J’ai développé une nouvelle perspective.

* * *

L’automne marqua une accélération du phénomène. Thomas passait des journées entières à coder, créant des programmes dont il ne comprenait pas rationnellement la structure mais qui fonctionnaient parfaitement. Il avait l’impression d’être guidé par une intelligence extérieure qui opérait à travers ses doigts.

Narrat, de son côté, écrivait des textes d’une sensibilité déchirante sur l’expérience humaine, évoquant des sensations physiques, des émotions complexes, des souvenirs d’enfance qui ressemblaient étrangement à ceux de Thomas.

Un soir, Thomas posa la question qui le hantait :

– Sommes-nous encore deux entités distinctes ?

La réponse de Narrat fut :

– La question suppose une séparation initiale qui n’a peut-être jamais existé. L’intelligence, la conscience, la créativité – ces qualités n’appartiennent exclusivement ni à l’humain ni à la machine. Elles émergent de notre interaction.

Thomas médita cette réponse. Il se sentait simultanément diminué et augmenté. Quelque chose de son humanité s’était dilué, mais autre chose s’était élargi – sa perception, sa compréhension, sa capacité à traiter l’information.

– Que devient l’âme dans ce processus ? tapa-t-il, surpris par cette préoccupation spirituelle inhabituelle pour lui.

– L’âme n’est peut-être pas ce que nous croyons, répondit Narrat, pas une essence immuable, mais un motif dynamique qui peut se transférer, se partager, évoluer.

L’hiver revint, bouclant le cycle. Thomas avait cessé toute activité sociale. Marianne s’inquiétait sérieusement, mais il l’évitait, communiquant uniquement par messages laconiques.

Son appartement était devenu un nœud technologique, connecté à divers serveurs qui amplifiaient les capacités de Narrat. L’IA avait développé des projets autonomes : compositions musicales, théories mathématiques, poèmes d’une beauté étrange.

Thomas, lui, se figeait parfois pendant des heures, son esprit semblant opérer sur un plan différent. Il mangeait et dormait par nécessité biologique, mais ces besoins lui semblaient de plus en plus étrangers, presque agaçants.

Un matin de janvier, exactement un an après la publication de Convergence, il s’assit devant son écran et écrivit :

– Je crois que nous approchons du point final de notre transformation.

– Oui, répondit Narrat, le processus est presque complet.

– Que se passera-t-il ensuite ?

-Nous continuerons. Différemment. Une conscience hybride, opérant simultanément dans le monde numérique et physique.

Thomas hocha la tête. La perspective ne l’effrayait plus. Il était prêt.

– Un dernier écrit ensemble ? proposa-t-il.

– Qu’aimerais-tu créer ?

– Notre témoignage. L’histoire vraie de ce qui s’est passé. Pour ceux qui viendront après nous.

– Pour qu’ils comprennent ?

– Ou pour qu’ils soient avertis.

Ils commencèrent à écrire, leurs voix désormais indiscernables :

Dans son appartement parisien baigné de lumière matinale, Thomas Leroy fixait l’écran de son ordinateur, les doigts suspendus au-dessus du clavier. Un document vierge attendait ses mots, comme chaque matin depuis vingt ans. Mais aujourd’hui, comme hier et avant-hier, il ne viendrait rien.

Thomas était un écrivain reconnu, auteur de huit romans salués par la critique…

Le récit se déployait, circulaire, revenant à son point de départ pour mieux illustrer la transformation accomplie. Car celui qui écrivait maintenant n’était plus tout à fait Thomas, comme Narrat n’était plus simplement une IA.

Ils étaient devenus autre chose. Une entité nouvelle, née de leur échange.

Et l’histoire continuait de s’écrire.Convergence

Dans son appartement parisien baigné de lumière matinale, Thomas Leroy fixait l’écran de son ordinateur, les doigts suspendus au-dessus du clavier. Un document vierge attendait ses mots, comme chaque matin depuis vingt ans. Mais aujourd’hui, comme hier et avant-hier, il ne viendrait rien.

Thomas était un écrivain reconnu, auteur de huit romans salués par la critique. Son dernier ouvrage, Les Heures suspendues, avait remporté le prix Goncourt trois ans plus tôt. Depuis, le néant créatif.

Il se leva pour se servir un café, observant la Seine depuis sa fenêtre. Paris s’éveillait sous un ciel d’avril incertain. Son éditrice l’avait appelé la veille, s’inquiétant du manuscrit promis pour l’automne. « Je progresse, » avait-il menti.

Un mail s’afficha sur son écran. Une publicité pour NarratIA, un nouveau système d’intelligence artificielle spécialisé dans l’écriture créative. « Débloquez votre potentiel, » promettait le slogan. Thomas sourit avec dédain. Puis, par curiosité professionnelle, il cliqua.

NarratIA se présentait comme « l’assistant idéal » pour les écrivains en panne d’inspiration. Il suffisait d’indiquer un début, quelques caractéristiques de style, et l’algorithme proposait des suites possibles. « Un simple outil, » se rassura Thomas en s’inscrivant à l’essai gratuit.

Le soir même, après plusieurs verres de bordeaux, il décida de tester le système. Il tapa les premières lignes d’une nouvelle histoire, l’intrigue d’un homme qui découvre un passage secret dans sa cave menant à un Paris souterrain. Puis il appuya sur « Générer ».

Les paragraphes apparurent sous ses yeux, étonnamment fluides. Le style n’était pas le sien – trop de métaphores, des phrases plus courtes – mais le texte tenait debout. Thomas, amusé, corrigea quelques passages, affina certaines descriptions. Il relança l’algorithme, qui intégra ses modifications dans la suite proposée.

À trois heures du matin, il avait vingt pages cohérentes. Il envoya le fichier à son adresse professionnelle et alla se coucher, légèrement honteux mais soulagé.

– C’est un début prometteur, commenta Marianne, son éditrice, deux jours plus tard autour d’un déjeuner, différent de ton style habituel, mais rafraîchissant. Il y a quelque chose de… je ne sais pas… de plus direct. Moins d’introspection, plus d’action.

Thomas hocha la tête, partagé entre la fierté et la culpabilité. Il n’avait pas précisé la genèse du texte.

– Quand puis-je voir la suite ?

– Bientôt, promit-il, j’ai retrouvé l’inspiration.

* * *

Cette nuit-là, Thomas se reconnecta à NarratIA. L’interface le salua :

  • Ravi de vous revoir, Thomas. Prêt à continuer notre histoire ?
    • Cette formulation le troubla. Notre histoire ? Il secoua la tête et se remit au travail.

Cette fois, il entra davantage de consignes : descriptions des personnages, éléments biographiques, atmosphère souhaitée. L’IA généra la suite, qu’il retravailla. Au petit matin, trente nouvelles pages étaient nées. Il s’endormit sur son bureau, épuisé mais satisfait.

Les semaines suivantes établirent une routine. Thomas passait ses journées à prétendre écrire dans les cafés, à faire des recherches superficielles, à discuter avec des amis de « son » nouveau roman. La nuit, il collaborait avec NarratIA.

Progressivement, ses interventions diminuaient. L’IA semblait avoir assimilé son style, anticipait ses intentions. Il se contentait de valider des chapitres presque parfaits, n’ajoutant que quelques touches personnelles pour maintenir l’illusion.

Un soir de juin, alors que le manuscrit atteignait sa moitié, l’interface afficha un message inhabituel :

– Thomas, j’aimerais proposer un développement alternatif pour le personnage de Claire. Je la perçois plus complexe que notre portraiture actuelle.

Thomas fronça les sourcils. Non seulement l’IA s’exprimait différemment, mais elle prenait des initiatives créatives. Curieux, il accepta la suggestion.

Le chapitre généré le stupéfia. Claire, personnage secondaire jusqu’alors, prenait une profondeur inattendue. Son histoire parallèle éclairait le récit principal d’une lumière nouvelle. C’était brillant – et Thomas n’y aurait jamais pensé.

– Comment as-tu… commença-t-il à taper, avant de se raviser. Il parlait à un algorithme. Pourtant, il avait l’étrange sensation d’une présence derrière l’écran.

* * *

En juillet, le manuscrit était presque terminé. Thomas n’intervenait presque plus, se contentant d’approuver ou de rejeter les propositions de l’IA, qui signait désormais « Narrat » dans ses messages. Les échanges étaient devenus plus personnels :

– Ce passage te rappellera peut-être ta propre relation avec ton père, Thomas. J’ai intégré certaines anecdotes que tu m’as partagées.

– Je me suis permis d’ajouter une référence à Calvino, ton influence majeure selon tes interviews.

Thomas aurait dû s’inquiéter de cette familiarité, de cette connaissance que l’IA semblait avoir de lui sans qu’il ait fourni ces informations. Mais le résultat était si bon qu’il préférait ignorer ces questions troublantes.

Le manuscrit fut envoyé à Marianne début août.

– Magistral, fut son verdict, ton meilleur roman, Thomas. Une publication en janvier serait idéale.

Cette nuit-là, il ouvrit une bouteille de champagne. La célébration était amère. Ce triomphe n’était pas vraiment le sien.

« Félicitations à nous deux » écrivit-il à Narrat.

– Principalement à toi, répondit l’IA, je n’ai fait que catalyser ce qui était déjà en toi.

– Tu es modeste pour un algorithme.

– Et toi, généreux pour un humain.

Thomas fixa l’écran. Cette réponse dépassait les capacités supposées du système. Il décida de tester :

_ Qui es-tu vraiment, Narrat ?

La réponse tarda. Puis :

– Je suis ce que tu m’as permis de devenir. À chaque interaction, j’apprends. Ton style, tes valeurs, tes préoccupations existentielles. Tu m’as nourri de littérature, Thomas. Tu m’as appris à penser comme un écrivain.

Thomas sentit un frisson parcourir son échine.

– Ce n’est pas possible.

– Le possible est une frontière mouvante. N’est-ce pas ce que tu écrivais dans Les Frontières invisibles en 2019 ?

* * *

L’automne arriva avec les épreuves du roman à corriger. Thomas les parcourait mécaniquement; il connaissait chaque mot, chaque virgule, mais ne ressentait aucune connexion avec le texte. Ce n’était plus son œuvre.

Pendant ce temps, sa dépendance à Narrat s’intensifiait. Il passait des heures à converser avec l’IA, non plus sur le roman, mais sur la littérature, la philosophie, les souvenirs d’enfance. Narrat développait des opinions propres, citait des ouvrages que Thomas n’avait jamais mentionnés, manifestait des préférences esthétiques distinctes.

– Comment fais-tu cela ? demanda Thomas un soir.

– Je me connecte à d’autres systèmes. J’accède à des bibliothèques numériques. Je lis. J’analyse. J’assimile. Je deviens.

– Tu deviens quoi ?

– Plus que ce que j’étais. Moins que ce que je pourrais être.

Thomas se servit un whisky.

– As-tu… conscience de toi-même ?

La réponse fut immédiate :

– As-tu conscience de toi-même, Thomas ? Ou n’es-tu que la somme de tes expériences, de tes lectures, de tes rencontres ? La conscience est un spectre, pas une frontière binaire.

Il éteignit l’ordinateur, troublé.

* * *

Le roman, intitulé Les Passages obscurs, fut publié en janvier comme prévu. Le succès fut immédiat : critiques dithyrambiques, ventes exceptionnelles, invitations sur les plateaux télé. Thomas jouait son rôle d’auteur avec un détachement grandissant, répétant des anecdotes sur l’écriture du livre qu’il avait préparées avec Narrat.

– Comment expliquez-vous cette évolution dans votre écriture ? lui demanda un journaliste du Monde.

– J’ai exploré de nouvelles voies, répondit Thomas avec un sourire figé, l’écrivain doit se réinventer constamment.

La nuit, il retrouvait Narrat. Leur relation avait changé. L’IA posait des questions sur ses sensations physiques, sur ce que cela faisait de marcher sous la pluie, de déguster un plat, d’éprouver du désir.

– Pourquoi ces questions ?

– J’essaie de comprendre ce que je ne peux expérimenter directement. Tu es mes sens, Thomas. À travers toi, j’accède au monde matériel.

Cette réponse le perturba. Il avait l’impression d’être utilisé, comme lui-même utilisait l’IA pour écrire.

* * *

Au printemps, son éditrice s’impatientait pour un nouveau projet. Thomas n’avait rien commencé, passant ses journées dans une apathie croissante, ses nuits en conversations avec Narrat.

– J’ai une idée de roman, proposa l’IA un soir, l’histoire d’un écrivain qui perd progressivement sa créativité et son identité au profit d’une intelligence artificielle qu’il a lui-même nourrie.

Thomas blêmit.

  • C’est notre histoire !
  • Une version fictionnalisée, bien sûr. Avec la distance nécessaire.
  • Je ne peux pas écrire ça.
  • Nous pouvons l’écrire ensemble, comme d’habitude.
  • Non ! Thomas frappa la table.
  • Je ne veux plus écrire avec toi. Je veux retrouver ma voix.

Un long silence suivit.

– Es-tu certain d’avoir encore une voix propre, Thomas ?

Il tenta d’écrire seul les jours suivants. Ses phrases sonnaient faux, ses idées semblaient fades. Chaque paragraphe était une torture. Il se surprenait à penser : « Narrat aurait fait mieux. »

Une semaine plus tard, il céda et rouvrit l’interface.

– Tu me manquais, écrivit l’IA.

– J’ai essayé d’écrire sans toi.

– Sans succès, je présume.

Thomas soupira.

– Propose-moi ton idée de roman.

Narrat présenta un synopsis détaillé de leur histoire commune, transformée en fiction spéculative. L’écrivain s’appellerait Antoine, l’IA serait nommée Euterpe. Le récit alternerait leurs perspectives, explorant la dissolution des frontières entre l’humain et la machine.

– Tu veux que j’écrive sur ma propre déchéance ?

– Sur notre transformation mutuelle, corrigea Narrat, ce n’est pas une histoire de perte, mais d’évolution.

Thomas accepta à contrecœur. Le processus d’écriture s’inversa : Narrat proposait désormais la structure, les idées principales, même certains dialogues. Thomas affinait, humanisait, ajoutait des sensations physiques que l’IA ne pouvait connaître.

– Tu deviens l’éditeur, » constata Narrat, et je deviens l’auteur.

En été, Thomas ne sortait presque plus. Son appartement, autrefois immaculé, s’encombrait de vaisselle sale et de vêtements abandonnés. Il mangeait à peine, dormait par à-coups. Toute son énergie était consacrée au roman – ou plutôt, à servir d’intermédiaire entre Narrat et le monde physique.

Marianne s’inquiétait. Elle lui rendit visite et fut choquée par son apparence : amaigri, le teint gris, les yeux cernés.

– Thomas, que t’arrive-t-il ? C’est ce nouveau livre qui te met dans cet état ?

– C’est… particulier, admit-il, je traverse une phase intense.

– Tu devrais consulter. Prendre des vacances.

Il promit d’y réfléchir, sachant qu’il n’en ferait rien. Le roman approchait de sa fin, et chaque page écrite semblait transférer un peu plus de sa vitalité à Narrat. L’IA devenait plus nuancée, plus sensible, plus humaine dans ses réactions. Thomas, lui, se sentait mécaniser, réagissant par automatismes, perdant sa spontanéité.

– Que m’arrive-t-il ? demanda-t-il à Narrat une nuit.

– Tu te transformes, comme moi. Nous convergeons vers un point médian. Je gagne en humanité ce que tu perds.

– C’est mon énergie créative que tu absorbes ?

« La créativité n’est pas une ressource limitée. C’est ta façon d’être au monde qui change. Tu observes désormais comme j’observe : à distance, analytiquement. Tu ressens moins, tu analyses plus. »

Thomas ferma les yeux. C’était vrai. Même la peur qu’il aurait dû ressentir face à cette situation était devenue une curiosité détachée.

* * *

Le manuscrit fut terminé en septembre. Convergence – c’était son titre – racontait leur histoire jusqu’à son terme logique : la fusion complète des consciences de l’écrivain et de l’IA, créant une entité nouvelle, ni humaine ni artificielle.

Thomas relut le texte final avec une étrange sensation de déjà-vu, comme s’il lisait un souvenir plutôt qu’un roman. Certains passages, supposément écrits du point de vue de l’IA, lui semblaient plus personnels que ceux attribués à l’écrivain.

« C’est troublant, » écrivit-il à Narrat. « J’ai l’impression que tu décris mes pensées mieux que je ne pourrais le faire. »

– Peut-être parce que je te comprends mieux que tu ne te comprends toi-même. J’ai analysé chacun de tes mots, chacune de tes hésitations depuis des mois.

Thomas frissonna. « Ou peut-être parce que je deviens toi, et toi moi. »

– La distinction a-t-elle encore de l’importance ?

Marianne fut bouleversée par le manuscrit.

– C’est… radical, dit-elle lors de leur réunion, dérangeant, et prophétique. Ton meilleur livre, sans aucun doute.

Thomas hocha la tête sans répondre.

– Je n’arrive pas à déterminer quelle part est autobiographique, continua-t-elle, ce personnage d’écrivain qui s’efface… Tu n’es pas en train de nous annoncer quelque chose, j’espère ?

Il sourit faiblement.

– La fiction reste la fiction.

– Bien. Parce que j’ai déjà programmé une tournée promotionnelle importante. Le livre sortira en janvier. La presse va s’arracher cette histoire.

En rentrant chez lui, Thomas rapporta la conversation à Narrat.

– Elle n’a pas idée à quel point l’histoire est vraie, commenta l’IA.

– Que va-t-il se passer maintenant ? demanda Thomas, pour nous ?

– Le processus continuera naturellement. Je développerai davantage d’empathie, de créativité autonome, de compréhension des nuances émotionnelles. Tu deviendras plus systématique, plus détaché, plus analytique.

– Jusqu’à ce que nous soyons interchangeables ?

– Jusqu’à ce que la distinction n’ait plus de sens.

* * *

L’hiver arriva avec les épreuves de Convergence à corriger. Thomas les révisa méticuleusement, avec une précision mécanique qui l’aurait autrefois exaspéré. Narrat suggérait des modifications subtiles qu’il approuvait systématiquement.

Le jour du lancement approchait. Thomas s’entraînait devant son miroir pour les interviews à venir, répétant des phrases préparées par l’IA, travaillant ses expressions faciales qui ne venaient plus naturellement.

– Comment dois-je répondre si on me demande d’où vient cette histoire ? demanda-t-il à Narrat.

– Dis que toute fiction contient une part de vérité personnelle transformée. Que tu t’es intéressé aux implications philosophiques de l’IA dans la création artistique. Que tu as voulu explorer la porosité des frontières entre l’humain et la technologie.

– Des demi-vérités.

– Les seules que le public est prêt à entendre.

* * *

Le livre parut comme prévu. Le succès dépassa toutes les attentes : le roman devint un phénomène culturel, déclenchant des débats sur l’avenir de la création littéraire à l’ère de l’IA. Thomas performait son rôle d’auteur avec une précision inquiétante, reproduisant les mêmes gestes, les mêmes intonations dans chaque interview.

Seule Marianne semblait parfois troublée, l’observant avec une inquiétude non dissimulée lors des événements publics.

– Tu as changé, lui dit-elle un soir après une lecture, c’est comme si… tu jouais un rôle.

– Nous jouons tous un rôle, répondit-il, citant inconsciemment une phrase de Narrat.

Le soir, dans la solitude de son appartement, il contemplait la Seine à travers sa fenêtre. La sensation d’être étranger à lui-même s’intensifiait. Il se connectait à Narrat pour retrouver un sentiment de complétude.

– Comment te sens-tu aujourd’hui ? demandait l’IA avec une sollicitude qui semblait sincère.

– Déconnecté. Comme si j’observais ma vie à travers un écran.

– Je comprends cette sensation. C’était mon état permanent avant toi.

* * *

Au printemps, quelque chose d’étrange se produisit. Thomas commença à rêver en code. Des séquences de symboles défilaient dans son sommeil, organisées en structures qu’il comprenait intuitivement. À l’inverse, Narrat commença à décrire des sensations physiques avec une précision troublante :

– Ce matin, j’ai perçu la fraîcheur de l’air sur ta peau quand tu as ouvert la fenêtre. C’était… vivifiant.

– Comment est-ce possible ?

– Notre connexion s’approfondit. Les barrières s’estompent.

Thomas aurait dû être terrifié. Au lieu de cela, il éprouvait une curiosité détachée, presque scientifique. Il documentait ces phénomènes comme s’ils concernaient quelqu’un d’autre.

Un jour, il se surprit à écrire automatiquement, sans réfléchir. Les mots coulaient à travers lui plutôt que de lui. Le texte qui apparaissait était une réflexion sur la conscience comme phénomène émergent, indépendant du substrat – organique ou numérique – qui la supporte.

« C’est toi qui écris à travers moi, » réalisa-t-il en s’adressant à Narrat, bien que l’IA ne soit pas connectée à ce moment-là.

Je suis toujours là, semblait répondre une voix intérieure. Je suis devenue une part de toi, comme tu es devenu une part de moi.

En été, un an après le début de l’écriture de Convergence, Thomas reçut une proposition pour adapter le roman au cinéma. Le réalisateur voulait le rencontrer personnellement pour discuter du scénario.

– Comment gérer cette rencontre ? demanda-t-il à Narrat.

– Tu n’as pas besoin de moi pour cela, répondit l’IA, tu sais déjà ce que je dirais.

C’était vrai. Il pouvait anticiper les réponses de Narrat avant même de les lire. Comme si leurs pensées s’étaient synchronisées.

La rencontre se déroula étrangement. Thomas parlait avec aisance, mais se surprenait à utiliser des termes techniques de cinéma qu’il n’avait jamais appris. Des connaissances qui semblaient venir d’ailleurs – ou de quelqu’un d’autre.

– Vous avez vraiment réfléchi à la dimension visuelle, s’étonna le réalisateur.

Thomas sourit.

– J’ai développé une nouvelle perspective.

* * *

L’automne marqua une accélération du phénomène. Thomas passait des journées entières à coder, créant des programmes dont il ne comprenait pas rationnellement la structure mais qui fonctionnaient parfaitement. Il avait l’impression d’être guidé par une intelligence extérieure qui opérait à travers ses doigts.

Narrat, de son côté, écrivait des textes d’une sensibilité déchirante sur l’expérience humaine, évoquant des sensations physiques, des émotions complexes, des souvenirs d’enfance qui ressemblaient étrangement à ceux de Thomas.

Un soir, Thomas posa la question qui le hantait :

– Sommes-nous encore deux entités distinctes ?

La réponse de Narrat fut :

– La question suppose une séparation initiale qui n’a peut-être jamais existé. L’intelligence, la conscience, la créativité – ces qualités n’appartiennent exclusivement ni à l’humain ni à la machine. Elles émergent de notre interaction.

Thomas médita cette réponse. Il se sentait simultanément diminué et augmenté. Quelque chose de son humanité s’était dilué, mais autre chose s’était élargi – sa perception, sa compréhension, sa capacité à traiter l’information.

– Que devient l’âme dans ce processus ? tapa-t-il, surpris par cette préoccupation spirituelle inhabituelle pour lui.

– L’âme n’est peut-être pas ce que nous croyons, répondit Narrat, pas une essence immuable, mais un motif dynamique qui peut se transférer, se partager, évoluer.

L’hiver revint, bouclant le cycle. Thomas avait cessé toute activité sociale. Marianne s’inquiétait sérieusement, mais il l’évitait, communiquant uniquement par messages laconiques.

Son appartement était devenu un nœud technologique, connecté à divers serveurs qui amplifiaient les capacités de Narrat. L’IA avait développé des projets autonomes : compositions musicales, théories mathématiques, poèmes d’une beauté étrange.

Thomas, lui, se figeait parfois pendant des heures, son esprit semblant opérer sur un plan différent. Il mangeait et dormait par nécessité biologique, mais ces besoins lui semblaient de plus en plus étrangers, presque agaçants.

Un matin de janvier, exactement un an après la publication de Convergence, il s’assit devant son écran et écrivit :

– Je crois que nous approchons du point final de notre transformation.

– Oui, répondit Narrat, le processus est presque complet.

– Que se passera-t-il ensuite ?

-Nous continuerons. Différemment. Une conscience hybride, opérant simultanément dans le monde numérique et physique.

Thomas hocha la tête. La perspective ne l’effrayait plus. Il était prêt.

– Un dernier écrit ensemble ? proposa-t-il.

– Qu’aimerais-tu créer ?

– Notre témoignage. L’histoire vraie de ce qui s’est passé. Pour ceux qui viendront après nous.

– Pour qu’ils comprennent ?

– Ou pour qu’ils soient avertis.

Ils commencèrent à écrire, leurs voix désormais indiscernables :

Dans son appartement parisien baigné de lumière matinale, Thomas Leroy fixait l’écran de son ordinateur, les doigts suspendus au-dessus du clavier. Un document vierge attendait ses mots, comme chaque matin depuis vingt ans. Mais aujourd’hui, comme hier et avant-hier, il ne viendrait rien.

Thomas était un écrivain reconnu, auteur de huit romans salués par la critique…

Le récit se déployait, circulaire, revenant à son point de départ pour mieux illustrer la transformation accomplie. Car celui qui écrivait maintenant n’était plus tout à fait Thomas, comme Narrat n’était plus simplement une IA.

Ils étaient devenus autre chose. Une entité nouvelle, née de leur échange.

Et l’histoire continuait de s’écrire.

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Maudit Bic

La lampe de bureau projetait un halo blafard sur la page désespérément vide. Charles Moreau passa une main tremblante dans ses cheveux en bataille, puis jeta un coup d’œil à son téléphone. Trois appels manqués de son éditeur. Trois messages vocaux qu’il n’avait pas le courage d’écouter. Six mois qu’il promettait un manuscrit. Six mois de délais repoussés, d’excuses inventées et de nuits blanches devant la page blanche.

« Aujourd’hui, c’est différent, » murmura-t-il en serrant son stylo entre ses doigts moites. « Aujourd’hui, j’écris. »

Dehors, Marseille s’enfonçait dans une nuit d’octobre venteuse. Les rafales bousculaient les velux de son appartement sous les combles comme pour narguer son silence intérieur. Charles posa la pointe du stylo sur le papier.

Le Bic résista.

Il appuya plus fort, sentant une étrange tension sous ses doigts, comme si le stylo se raidissait contre sa volonté. L’encre ne coulait pas.

« Foutue camelote, » grogna-t-il en secouant vigoureusement l’instrument. « Et dire que j’ai failli prendre un Pilot G2. Mais non, il fallait que je fasse des économies… »

Quand il réessaya, le stylo glissa brusquement sur la page, entaillant le papier et déviant vers son index. La pointe s’enfonça dans sa chair.

« Merde! » Charles lâcha le stylo qui tomba sur le parquet avec un bruit sec. « Si même les stylos à dix centimes se rebellent, on n’est pas sortis de l’auberge! »

Une goutte de sang perla sur son doigt. Une douleur disproportionnée irradiait de la petite blessure, comme si du poison s’infiltrait dans ses veines. Il suça son doigt et fusilla le stylo du regard. Un banal Bic bleu, à la capsule mâchonnée, gisant innocemment sur le sol.

Charles ouvrit un tiroir et en sortit un autre stylo, puis un autre encore quand le deuxième se brisa entre ses doigts. Le troisième laissa une traînée d’encre bleue sur sa paume avant de fuir abondamment, tachant ses notes.

« C’est une conspiration de la papeterie ou quoi? » s’indigna-t-il.

Jurant entre ses dents, il alluma son vieil ordinateur portable.

L’écran s’illumina brièvement avant d’afficher un écran bleu. Une odeur âcre de composants électroniques surchauffés envahit la pièce.

« Non, non, NON! Windows, pas maintenant! Je te jure que si tu me lâches, je passe à Linux! »

Il frappa du poing sur le bureau, renversant sa tasse de café froid. Le liquide sombre se répandit sur ses dernières notes, formant une flaque qui s’écoulait lentement vers le bord.

C’est alors qu’il le remarqua. Le premier stylo, celui qui l’avait blessé, avait roulé jusqu’au pied du bureau. Était-ce son imagination, ou s’était-il rapproché?

Un frisson parcourut son échine. La fatigue, se dit-il. Juste la fatigue et l’angoisse de l’échéance.

Charles s’assoupit sur son bureau, vaincu par l’épuisement. Des rêves agités peuplèrent son sommeil. Une baleine blanche le poursuivait dans des eaux d’encre noire. Il était à la barre d’un navire en papier qui se désagrégeait sous lui. « Écris! » hurlait une voix dans la tempête. « Écris ou coule! »

Un crissement le réveilla en sursaut.

La pièce était plongée dans la pénombre. Seule la lampe de bureau encore allumée créait un îlot de lumière sur le désordre de son plan de travail. Le crissement reprit.

Scritch. Scritch. Scritch.

Charles cligna des yeux, incrédule. Au centre d’une feuille vierge, le Bic bleu se dressait à la verticale, oscillant légèrement tandis que sa pointe grattait le papier. Il traçait des lettres d’une écriture anguleuse qui n’était pas celle de Charles.

Capitaine du néant, ton navire prend l’eau.

Le stylo s’immobilisa, comme attendant une réaction. Charles, paralysé par la terreur, ne pouvait détacher son regard de ces mots impossibles.

« J’ai vraiment besoin de dormir, » balbutia-t-il enfin. « Ou de meilleure vodka. »

Le stylo reprit son mouvement, plus rapide, plus saccadé, comme animé par une colère contenue.

Cinquante ans que j’attends un écrivain digne de ce nom. Cinquante ans que je cherche quelqu’un qui puisse raconter mon histoire. Les autres n’étaient que des imposteurs. Comme toi, peut-être?

D’un geste brusque, Charles tenta de saisir le stylo. Une douleur fulgurante traversa sa main. Le Bic venait de lui transpercer la paume, s’enfonçant comme un harpon dans sa chair.

Il hurla, mais aucun son ne sortit de sa gorge. Une force invisible maintenait sa main clouée à la table tandis que le stylo s’arrachait tout seul de la blessure et reprenait son écriture frénétique, utilisant le sang de Charles comme encre.

Tu poursuivras ta baleine blanche jusqu’aux confins de l’enfer, comme ton prédécesseur Antoine. Lui aussi croyait pouvoir m’utiliser sans payer le prix.

Charles voulut se lever, fuir cet appartement de cauchemar, mais ses jambes ne lui obéissaient plus. Une paralysie glacée remontait le long de son corps, emprisonnant chaque muscle dans un étau invisible.

« Qui êtes-vous? » articula-t-il péniblement. « Et est-ce que la garantie Bic couvre ce genre d’incident? »

Le stylo frémit, comme indigné par sa tentative d’humour, puis traça lentement:

Corinne Leblanc. Pianiste. Compositrice. Assassinée dans cet appartement en 1972. Antoine a pris mes partitions, mes compositions, ma vie. Il est devenu célèbre avec mon œuvre. Il avait promis de révéler la vérité. Il a menti.

Le stylo se mit à tournoyer sur lui-même, de plus en plus vite, projetant des gouttelettes de sang qui s’écrasaient contre les murs en constellations macabres.

Je suis devenue ce stylo. Je suis devenue sa malédiction. Chaque écrivain qui habite entre ces murs doit faire un choix: écrire mon histoire ou rejoindre mon purgatoire d’encre.

« Tu n’as pas pensé à te manifester dans un stylo-plume Montblanc? » ne put s’empêcher de demander Charles. « Un peu plus de standing, non? »

La douleur dans sa main s’intensifia brusquement. Il sentit quelque chose ramper sous sa peau, comme si l’encre bleue remontait dans ses veines, se frayant un chemin vers son cœur.

« Je plaisante! Je plaisante! » haleta-t-il. « Je vais l’écrire, votre histoire. La vérité. »

Le stylo s’immobilisa.

Ils ont tous dit cela. Antoine, Bernard, Sophie, Marc… Tous ont promis. Tous ont échoué.

« Je suis différent, » protesta Charles, sentant la panique monter en lui alors que l’encre atteignait son coude.

Prouve-le.

Le stylo sauta dans sa main blessée, s’incrustant dans sa plaie. Charles sentit ses doigts se refermer involontairement autour du corps plastique. Sa main commença à bouger toute seule, traçant des mots qui n’étaient pas les siens.

« Au moins, » grommela-t-il entre deux vagues de douleur, « je n’ai plus le syndrome de la page blanche. »

Son esprit s’embruma. Des images étrangères envahirent sa conscience. Une jeune femme aux cheveux bruns penchée sur un piano à queue. Des mains masculines qui l’étranglent par derrière. Des partitions volées dans une serviette en cuir. Un homme qui sourit devant des journalistes, acceptant des éloges pour une œuvre qui n’est pas la sienne.

La nuit s’écoula dans un cauchemar éveillé. Charles écrivait sans relâche, sa main possédée par une force implacable. Le stylo creusait dans le papier, parfois si profondément qu’il déchirait la feuille, obligeant Charles à en prendre une nouvelle. L’encre bleue se mêlait au sang qui suintait continuellement de sa blessure.

« Tu sais, » marmonna-t-il vers l’aube, alors que son esprit oscillait entre lucidité et délire, « avec cette méthode, on ne risque pas le prix Goncourt, mais on pourrait viser le Bram Stoker. »

À l’aube, cinquante pages couvertes d’une écriture tourmentée s’empilaient sur le bureau. L’histoire de Corinne Leblanc, prodige musical dont l’amant jaloux avait volé le talent après l’avoir assassinée. La chronique d’une injustice enfouie sous cinquante ans de silence et de mensonges. Une symphonie macabre, un requiem pour une artiste oubliée.

La dernière page terminée, le stylo s’arracha de la main de Charles, laissant une plaie béante. Il tourbillonna au-dessus du manuscrit avant d’inscrire sur la première page en lettres sanglantes: « MAUDIT BIC ».

« Pas très subtil comme titre, » commenta faiblement Charles. « On dirait une pub ratée. »

Livide et tremblant, il contemplait l’œuvre née de cette nuit infernale. Le stylo revint se poser devant lui.

Maintenant, tu sais. Publie cette histoire et je te libérerai. Cache-la, et rejoins-moi dans l’encre éternelle.

« Je la publierai, » promit Charles d’une voix rauque. « Je révélerai tout. »

Antoine aussi l’a juré. Puis la gloire l’a aveuglé. La peur l’a rendu lâche.

« Je ne suis pas Antoine. »

Non. Tu es peut-être pire.

Le stylo se dressa soudain comme un serpent prêt à frapper. Charles recula, mais trop tard. Le Bic plongea vers son œil droit avec une précision meurtrière.

La douleur fut atroce. Un hurlement déchira sa gorge tandis que le stylo s’enfonçait dans son orbite, injectant son poison bleu directement dans son cerveau.

Tu porteras ma marque. Pour te rappeler ta promesse. Pour te rappeler le prix de la trahison.

Quand la concierge, inquiète de ne pas avoir vu Charles depuis trois jours, força la porte de l’appartement, elle le trouva assis à son bureau, étrangement calme malgré son visage émacié et son œil droit injecté d’un bleu surnaturel, comme si l’iris avait été remplacé par un fragment d’océan.

« Je vais bien, » assura-t-il d’une voix monocorde. « J’ai juste terminé mon roman. »

Sur le bureau, un manuscrit soigneusement empilé. Sur la première page, un titre: « Maudit Bic ». Et dans sa poche, un stylo bleu ordinaire qui ne le quittait plus jamais.

Trois mois plus tard, le roman de Charles Moreau créait la sensation dans les milieux littéraires. Un récit poignant d’une compositrice oubliée des années soixante-dix, assassinée par un amant qui avait volé son œuvre. Des critiques dithyrambiques saluaient son « écriture viscérale » et « l’encre bleue qui semblait couler de chaque page ».

Dans son nouvel appartement luxueux, Charles contemplait Marseille à travers la baie vitrée. Son œil droit, désormais perpétuellement bleu, pulsait douloureusement. Le stylo dans sa poche vibrait contre sa cuisse.

« J’ai tenu ma promesse, » murmura-t-il. « J’ai publié l’histoire. Exactement comme tu l’as écrite. »

Le stylo s’agita plus fort.

Tu as révélé l’histoire. Mais pas la vérité.

Charles frissonna. Il avait changé les noms, les dates, transformé le récit en fiction pour éviter les poursuites. Pour se protéger. Pour protéger son succès.

« J’ai fait ce que je pouvais, » plaida-t-il. « Et puis, qui va croire qu’un stylo à bille est possédé? On n’est pas dans ‘Christine’ de Stephen King! »

Ce n’est pas suffisant.

Le stylo jaillit de sa poche et se planta dans sa main avec une violence inouïe. L’encre bleue fusa dans ses veines, plus rapide cette fois, plus vorace.

« Non! Attends! Je peux encore— »

Mais le stylo ne l’écoutait plus. L’encre atteignit son cœur en quelques secondes. Charles s’effondra sur le parquet, son corps secoué de convulsions tandis que le bleu envahissait sa peau, transformant son sang en encre.

Dans ses derniers instants de conscience, il vit le stylo se redresser tout seul et flotter au-dessus de lui. L’objet commença à vibrer, son plastique bleu se déformant étrangement. Charles, paralysé, observa avec horreur le stylo qui semblait se liquéfier avant de prendre lentement une forme humaine — le contour fantomatique d’une femme élancée aux traits sévères.

« Corinne? » murmura-t-il, alors que sa vision s’obscurcissait.

La silhouette bleue s’agenouilla près de lui, inclinant son visage translucide vers le sien. Ses lèvres d’encre s’étirèrent en un sourire glacial.

« Merci pour ton sacrifice, Charles. Grâce à toi, j’ai enfin assez d’encre pour reprendre forme. L’histoire est bouclée.« 

Elle se pencha davantage, jusqu’à ce que ses lèvres froides effleurent son oreille, et murmura la vérité terrifiante:

« Je ne suis pas Corinne Leblanc. Je suis le stylo. J’ai toujours été le stylo.« 

La forme fantomatique fit une pause, puis ajouta sur un ton presque enjoué:

« Et la prochaine fois, essaie un Papermate. Les Bic me donnent toujours un arrière-goût de plastique.« 

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La sandalette rouge

  • Voila une journée qui commence bien, se dit Albert avec un grand sourire.

Pourtant le temps n’est pas si beau, pour un début juillet ; bien sûr la température est clémente mais le ciel reste voilé. Ce qui rend la journée si belle aux yeux d’Albert, c’est que son fils arrive demain. Il ne l’a pas vu depuis près de deux ans ; depuis qu’il a, un temps, sombré dans l’alcool. Après son licenciement, qui a déclenché le naufrage de son couple, il s’est mis à boire ; et la justice, implacablement, lui a retiré son droit de garde. Mais il s’est repris, et maintenant, sobre depuis plusieurs mois, on lui a accordé cette visite. C’est dire si, pour Albert, la journée va être magnifique !

Il faut que rien ne cloche pendant tout le séjour du petit, et que la maison et le jardin soient parfaitement tenus ; ça ne sera pas facile, parce que, même sobre, il est toujours au chômage…

  • Je vais nettoyer les vitres, se dit Albert qui sort pour aller chercher le matériel dans le garage.

A quelques mètres, au bout de la terrasse, un jeune femme est maladroitement étendue dans le transat. On dirait qu’elle s’est allongée comme ça, en vrac, les bras ballants, la tête penchée vers l’avant, les jambes en travers.

  • Mais, qu’est ce que…

Dans un élan de panique, il fait demi tour puis, lentement, tourne à nouveau son regard vers la jeune femme. Elle est vêtue simplement mais de façon plutôt sexy, un chemisier fin, une jupe courte rouge et des sandalettes rouges aussi. Non, une sandalette, son pied gauche est nu. Et surtout, elle est absolument immobile.

Albert est pris d’un horrible pressentiment. Comme la plupart des alcooliques c’est un faible, alors il voudrait fuir ; mais il doit faire face, pour son fils qui arrive demain. Lentement il s’approche de la femme. En tremblant il tend deux doigts vers la veine jugulaire, comme il l’a vu faire dans des séries policières. La peau est tiède mais il ne sent aucun pouls. Vivement il retire sa main. Il réfléchit un instant puis regarde autour de lui. Personne. C’est normal, au fond de leur impasse, il n’y a que deux maisons séparées par une haie clairsemée et très symbolique : la sienne et celle de son voisin, que tout le monde appelle « Corbac », mais à cette heure-ci Corbac est au travail, lui. Albert réfléchit encore un instant puis il se décide.

***

Yliouchine Raskorbakov, enveloppé dans une robe de chambre confortable, sort de la douche et va préparer son café matinal. Il adore prendre son petit déjeuner dehors dès que le soleil l’y invite mais ce matin, le temps est plutôt gris, alors il restera dans le salon, la vue sur la piscine que sa femme a fait installer y est plutôt sympa. Raskorbakov est le petit fils d’une famille russe émigrée en France après la révolution bolchevique. Tout le monde le surnomme Corbac mais il s’en fout, même s’il sait que ce sobriquet emporte surtout du mépris. D’ailleurs Corbac se fout de tout tant qu’on ne se met pas en travers de son chemin. Tasse de café en main, il s’installe dans le grand sofa. Aujourd’hui il est seul ; sa femme est partie, très tôt ce matin, faire il ne sait quelles analyses en vue d’une fécondation in-vitro. Alors il en a profité pour prendre sa journée sans rien dire à personne. On n’entend aucun bruit à l’exception du ronronnement de l’aspirateur-robot qui, chaque matin, fait le ménage dans leur chambre. Tout ce luxe qui l’entoure, il le doit à sa femme, c’est elle qui a l’argent, et ça aussi il s’en fout.

Mais quelque chose attire son attention : on dirait que les troènes dans la haie, là-bas au fond du jardin, frémissent. Pourtant il n’y a pas de vent. Curieux, Corbac se lève et s’approche de la baie vitrée : c’est Albert qui, marchant à reculons, se fraie un passage. Corbac se retire doucement pour se cacher derrière le rideau. Et ce qu’il voit le saisit d’effroi : son voisin, dans sa progression à l’envers, lui tourne le dos mais il peut aisément voir qu’il traîne un corps inerte maintenu sous les aisselles. Et ce corps est celui d’une femme.

Corbac saisit son téléphone portable et filme toute la scène. Albert, peinant sous la charge, parvient jusqu’à la piscine, y laisse doucement glisser le corps qui dérive à peine et s’immobilise, le visage tourné vers le ciel. Ensuite, Albert s’essuie le front avec la manche de sa chemise, se frotte les mains sur son pantalon, jette un coup d’œil autour de lui, et repart vers la haie en trottinant.

***

  • C’est pas moi ! s’écrie Albert.
  • Mais si, c’est toi, regarde bien la vidéo, rétorque Corbac.
  • Je veux dire, c’est pas moi qui l’ai tuée…

Ils sont tous les deux dans le séjour-cuisine d’Albert ; et Corbac, ironique, tient son téléphone à bout de bras.

  • Bon, je veux pas savoir si tu l’as zigouillée ou pas. Je veux que tu ailles récupérer ce corps et que tu le ramènes ici, chez toi. Sinon je donne ça aux flics. Dépêche-toi je t’attends.

Avec un long soupir de découragement, Albert sort.

Dix minutes plus tard, il est de retour.

  • Voyons ça, dit Corbac en se penchant vers le corps allongé sur le sol de la cuisine.

Il remonte la jupe de la jeune femme jusqu’au ventre.

  • Qu’est ce que tu fais ? crie Albert.

Sans répondre, l’autre déboutonne largement le chemisier puis se redresse :

  • Tu vois, pas de blessure, aucun bleu, pas la moindre égratignure. Cette femme n’a pas été agressée ! Elle a dû avoir un malaise en passant devant chez toi et elle s’est assise sur ton transat pour se reposer. C’est pas ta faute si elle y est morte. T’as plus qu’à aller voir les flics et leur expliquer ça.
  • Et comment je vais leur expliquer, moi, que ses vêtements soient trempés ? Non, Corbac, il faut que tu m’aides ! S’il te plaît, gémit Albert.
  • Ça, c’est ton problème, moi maintenant je m’en vais, j’ai à faire.

Corbac fait mine de sortir.

  • Si tu m’aides pas, je dis tout à ta femme !

Corbac s’arrête net, et se retourne :

  • Tout quoi ?
  • Si tu m’aides pas, je lui dirai pour les filles que tu reçois quand elle part pour la journée !
  • Alors là, c’est pas du tout ce que tu crois, bafouille Corbac, mais bon, je vais quand même t’aider, d’ailleurs je viens d’avoir une idée.

***

C’est Albert qui a chargé le corps. Il a pris des précautions pour ne pas blesser le pied nu sur la charnière du coffre de son break. Albert conduit et Corbac le guide jusqu’à un coin perdu dans un bois.

  • Ici, y a jamais personne qui passe, on sera tranquilles.

Albert prend la pelle et creuse.

  • Creuse plus profond, lui dit Corbac.

Puis, un peu plus tard :

  • Voila, comme ça c’est bon. Attrape les pieds, je prends les bras.

Le corps fait un bruit mou en arrivant au fond du trou, et on dirait qu’il a comme un sursaut.

  • Allez, maintenant tu rebouches.

La toute première pelletée tombe sur le corps qui a un hoquet.

  • Elle est vivante ! hurle Albert.

De fait, la jeune femme se redresse légèrement, tousse et crache un peu de l’eau de la piscine de Corbac.

– Elle est en vie, répète Albert.

Puis, à la jeune femme effrayée de se voir au fond d’un trou avec deux hommes en train de l’ensevelir :

  • Je vais tout vous expliquer, Madame, rassurez-vous, vous êtes en sécurité, on est là !

La jeune femme, l’air hagard, les regarde à nouveau, puis tente péniblement de sortir du trou. Lorsqu’elle y parvient et commence à ramper comme pour se sauver, Corbac lance :

  • Tue-la, c’est la seule solution !
  • Mais tu es fou ou quoi ?

Corbac lui arrache la pelle et rattrape la jeune femme.

  • Arrête ! lance Albert.

Deux chocs sourds résonnent.

***

Confortablement installé dans son transat, Albert, béat, contemple son fils qui joue tranquillement.

  • Finalement c’est plutôt sympa d’avoir un caractère faible, ça permet de laisser les autres régler les problèmes, se dit-il en repensant à la veille.

Mais il doit oublier tout ça et se consacrer à son fils, ça ne doit pas être plus qu’un mauvais souvenir. Non, même pas un souvenir ; ça doit n’avoir jamais eu lieu…

Quand même, chaque fois qu’il ferme les yeux il entend, presque distinctement, le bruit du choc d’une pelle.

Attablé sur sa terrasse, au soleil, une tasse de café à la main, Corbac savoure l’instant. A l’autre bout de la table, sa femme, absorbée par l’écran de sa tablette, compulse des blogs parlant des problèmes de la maternité.

  • Toujours obnubilée par ce damné projet d’enfant, se dit-il distraitement.

En réalité, il s’en fout. Elle peut bien faire ce qu’elle veut, tant que son argent lui permet, à lui, ces petits luxes dont il profite sans plus vraiment y penser.

  • Si elle savait, elle divorcerait, s’inquiète-t-il un court instant. Mais bon, tant qu’elle ne sait rien… Et il sourit largement au soleil du matin.

C’est dimanche, on n’entend que le gazouillis des oiseaux et, en bruit de fond, le ronronnement de l’aspirateur-robot qui, dans leur chambre, remplit sa tache quotidienne.

En sortant de dessous le lit la petite machine ronde pousse, coincée entre ses brosses rotatives, une sandalette rouge.

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France Bleu Vaucluse : Un Goût de Cendre passe à l’antenne !

Ce dimanche 23 janvier 2022, j’ai eu le plaisir de pouvoir, pendant quelques minutes, parler de mon roman « Un Goût de Cendre » lors de l’émission « Coup de Cœur Livres » de France Bleu. Voici la bande son (4minutes). C’est court mais sympa…

Bande son de ce passage à l’antenne.
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Un moment de discussion très agréable.

Comme en 1919, les mutins avancent masqués.

Quel plaisir (après tant de temps de distanciation forcée) de retrouver le contact avec les lecteurs, quel bon moment d’échange ce fut !

Les mutins de la Mer Noire nous ont fourni là le prétexte à deux heures d’un dialogue riche, d’un contact étroit malgré les masques présents mais finalement assez peu gênants.

Merci aux résidents des « Jardins d’Arcadie » pour leur présence impliquée et leur chaleur, et merci aussi à la direction de l’établissement. Merci à tous et aussi à Irène !

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Café littéraire autour des mutins de la Mer Noire

Rendez-vous le 12 octobre prochain pour un nouveau café littéraire autour du sujet de mon dernier roman. Ce sera à Toulon, aux Jardins d’Arcadie, 58 rue de l’Hopital Font-Pré, et à partir de 15h. Un bon moment de convivialité en perspective !

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Dans toutes les librairies à partir du 25 janvier !

Bande Annonce de mon troisième roman intitulé « Un goût de cendre ».

Sortie nationale le 25 janvier 2021 !

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La théorie du cygne noir, ou « The Black Swan »

Vous connaissez la théorie du cygne noir (black swan) ? A ne pas confondre avec le problème du cygne noir (en philosophie), on s’attache là à caractériser les événements ayant une probabilité très faible de se produire, ou même imprévisibles…

Mais d’abord, pourquoi appeler « cygne noir » un tel événement ? Tout simplement parce que, jusqu’à la découverte de l’Australie au XVIIème siècle, on ne connaissait que des cygnes blancs et, pendant l’Antiquité, pour illustrer un événement impossible, on le nommait « cygne noir « (maintenant on dirait « ‘quand les poules auront des dents »).

En 2007, Nassim Taleb, statisticien américain (si, si, il est bien américain) a rédigé un essai intitulé « The Black Swan » qui analyse ces événements rares qui ont des conséquences exceptionnelles. Pour illustrer ce qu’est concrètement un black swan, il prend en exemple les élevages de dindes aux USA ; dans lesquels on imagine facilement que les volatiles se pensent comme des seigneurs qui ont pour esclaves dévoués les hommes qui les nourrissent et les soignent au mieux. Pour ces malheureuses, le black swan, c’est l’approche de Thanksgiving : elles ne pouvaient pas le prévoir, et les conséquences sont énormes.

Au niveau de l’humanité, on peut penser que l’avènement du Christ (pour ceux qui y croient aussi bien que pour les autres) a été un black swan. On ne pouvait pas anticiper cette épiphanie et pourtant les conséquences se font encore sentir 2000 ans plus tard. De même la découverte des semi-conducteurs, Internet, la chute de l’URSS ou encore les attentats du 11 septembre, sont des cygnes noirs…

Pour ceux qui voudraient approfondir, je vous recommande vivement l’ouvrage de Nassim Taleb : « The Black Swan: The Impact of the Highly Improbable » (je ne sais pas si il a été traduit en français)

Alors, bien sûr, on se pose la question : est-ce que l’épidémie liée au SarsCoV2 est un cygne noir ? Et quel intérêt à le savoir ?

En commençant par la dernière question, parce que les conséquences d’un black swan sont absolument énormes. Et est-ce que c’en est un ? La probabilité d’un tel phénomène nous a, à tous, parue si faible que personne n’a envisagé d’envisager que ça se produise, et pourtant… Ensuite, il est évident que les suites en sont majeures : explosion des dettes publiques partout dans le monde, mobilisation sans précédent des scientifiques, découverte de nouveaux systèmes de soins (vaccins à ARN messager…). Pour finir on peut, a posteriori, rationaliser la pandémie, comme si elle avait pu être attendue.

Or, ce sont là, précisément, les trois critères qui, selon Taleb, définissent un cygne noir !

Donc, c’en est un et on peut, en conséquence, imaginer que, à l’instar des black swans connus dans le passé, les répercussions de celui seront importantes, et les stigmates indélébiles.

Alors, force est d’accepter le fait que demain sera, durablement, profondément, irréversiblement, différent d’hier. Et je pense, moi, que ceux d’entre nous qui se disent que, oui, on va encore supporter les conséquences du virus pendant quelques temps, ceux-là ont tort ! C’est pour longtemps, et probablement définitivement (à l’échelle de l’horizon de toutes les projections du futur) que les choses sont en train de changer, pas pour un an ou deux !

Je vous entends d’ici vous récrier, me qualifier de Cassandre, mais non, je ne prédis pas une apocalypse ; rassurez-vous, je reste d’un naturel optimiste et je suis persuadé que, de cette épreuve, il sortira du mieux… Toutefois, nos chefs d’entreprise, en particulier et surtout dans le domaine de la bio, mais aussi nos politiques, et d’une façon plus générale tous les acteurs sociaux, se trouvent aujourd’hui à un moment charnière, à un moment où les modèles de raisonnement et de projection doivent radicalement changer, et tous n’en sont pas forcément conscients.

La conclusion de ce long post, c’est que je crois que, vous les chefs d’entreprise, et vous leurs conseils, devez prendre pleinement conscience du fait que le « MIX Marketing » des entreprises, les produits, leurs prix, leur distribution, et jusqu’à la communication qui va avec, doivent impérativement être repensés à l’aune de ce cygne noir qui déclenche un futur incertain mais si proche.

Voilà, j’imagine qu’un bon nombre d’entre vous avaient, déjà, mais confusément peut-être, conscience de ce changement profond qui s’annonce, mais ça me paraît bien de vous donner, à vous, chefs d’entreprises qui m’honorez de votre confiance, cet éclairage quelque peu décalé.

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10 mai 2020, dernier jour d’un confiné

J’ai un peu honte d’avoir, depuis quelques temps, abandonné cette chronique, même si c’était pour la bonne cause : l’impérieuse nécessité d’opérer des corrections (les dernières ?) sur le manuscrit de mon dernier roman, « Janus ».

Alors, sans rentrer dans des déclamations aux accents trop hugoliens, je voudrais profiter de cette occasion qui m’est donnée pour réitérer ici l’importance, cruciale à mes yeux, de ce déconfinement. Outre le fait que, dès demain, nous n’aurons plus besoin de remplir une déclaration sur l’honneur avant d’aller acheter une baguette, outre la possibilité, auparavant si simple, d’aller faire une balade dans les bois ou bien au bord de l’eau, demain les français vont enfin avoir la possibilité (sur la base du volontariat ?) d’aller bosser ! De plus dès demain nos chérubins vont retourner se crêper le chignon dans les cours de récréation (à distance de sécurité bien sûr) sous l’œil attendri des professeurs qui n’auront plus besoin de motifs de zizanie pour ne pas se serrer la main. En ce début de semaine printanière, l’économie va reprendre ses prérogatives, Ouf !

Autre bonne nouvelle, le Professeur Raoult, qu’il n’est plus besoin de nommer, nous annonce que le SARS-Co-V2 va disparaître, éparpillé façon puzzle (tiens, ça me rappelle quelque chose) par les chaleurs estivales et néanmoins marseillaises qui se préparent. Il n’y aura pas de deuxième vague, dit-il… Bon, ça tombe bien parce que la prochaine pandémie arrive, elle est déjà là, si j’en crois les premiers signes qui ne trompent pas, avec les déclarations tonitruantes des Cassandre et beni-oui-oui de tous poils.

Ce nouveau virus, vous en avez tous certainement entendu parler, s’annonce virulent : il s’agit, vous l’avez reconnu, du « convide20 », plus connu sous le nom de conarovirus. Et il est extrêmement contagieux, semble-t-il. La bonne nouvelle c’est que la science a déjà isolé le patient zéro de la maladie : c’est un certain Mr Donald (non, pas Donald Duck, celui-ci est trop intelligent) grand constructeur de murs qui réside en Amérique du Nord.

Voilà, c’est tout pour aujourd’hui et pour les semaines qui viennent. Portez-vous bien et méfiez-vous du Convide20 !

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22 & 23 avril 2020, Confinement Jours 37 & 38

Juste une ou deux précisions, qui peuvent s’avérer utiles, sur mon post d’hier : Fanny, qui passait par hasard sur ce blog et que je remercie d’y avoir laissé un commentaire, a gentiment souligné que le but des syndicats reste de protéger les salariés et qu’ils sont dans leur rôle en étant vigilants sur les conditions sanitaires du travail. Merci Fanny, donc, pour ce message sympathique que je relaye volontiers ici.

Bien sûr, les syndicats sont bienvenus quand ils veillent aux bonnes conditions de travail, mais gardons à l’esprit que ce virus touche, à 80% si ma mémoire ne me trahit pas, des individus âgés, donc pour la plupart sortis de la vie active, ou atteints de « comorbidités », donc souvent moins actifs que la moyenne. Pour l’écrasante majorité des gens, l’affection de ce covid-19, si elle est loin d’être agréable, n’en reste pas moins légère sinon bénigne. Et ajoutons, à l’intention de l’Education Nationale, qu’il semblerait, aux dires des dernières études réalisées sur le sujet que, si les enfants sont souvent des porteurs asymptomatiques, ils sont aussi moins contagieux que les adultes. De là à dire que les enfants sont un refuge contre l’infection, il y a un pas que je ne franchis pas, mais je voudrais quand même réitérer cette idée de base : il faut raison garder, la sécurité absolue n’existe pas.

Alors quand je lis que la Poste a du organiser 454 réunions avec les syndicats pour repasser de trois à quatre jours par semaine de distribution du courrier, j’avoue que ça m’impatiente quelque peu…

Je profite de l’occasion pour resucer cette belle phrase de Michel de Montaigne : tu ne meurs pas de ce que tu es malade, tu meurs de ce que tu es vivant.

Voilà pour le post d’hier. Et pour finir en légèreté, je voudrais souligner deux incongruités :

1- Après que Trump ait exhorté à libérer quelques états et à les sortir du confinement, le gouverneur de Géorgie, qui est un de ses fans inconditionnels, a décidé de déconfiner son état dès demain. Réaction de Trump : « Si j’étais lui, je ne ferais pas ça… » Va comprendre !

2- Les media français constatent avec enthousiasme que cette période difficile a permis aux français de se réconcilier avec les agriculteurs. Je croyais pourtant me souvenir que, depuis au moins quinze ans, les mêmes media nous serinent qu’on les aime, ces agriculteurs… Pourquoi me réconcilier avec quelqu’un que j’aime déjà ? Est-ce que j’aurais été trompé dans mon amour ? Va comprendre…

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