Au réveil, nous sommes en forme, rien qui puisse nous inquiéter. Petit déjeuner avec du café et des crêpes sucrées. Avant de partir faire les courses (aujourd’hui c’est mon tour), j’appelle mon frère Michel qui est dans un EHPAD dans le Var, au Luc. On dirait qu’il va bien. Après ça j’appelle ma mère ; elle est un peu perdue dans cette tourmente sociale et médiatique : elle se laisse parfois aller à croire tout et n’importe quoi , alors elle s’affole pour rien… ou ne s’inquiète pas des vrais problèmes.
Ensuite, presque rituellement, je m’habille pour sortir. Ça devient un moment important de la journée, cette petite sortie. J’arrive au magasin avant l’ouverture. Sur le court trajet je n’ai rencontré qu’une petite vieille qui promenait son chien. Est-ce qu’elle avait une attestation pour ça ? Sur la vitrine de l’établissement, rien n’indique qu’il n’ouvrira pas, alors j’attends. Un moment après, d’autres clients arrivent. Je suis le seul à ne pas porter de masque. Ils se rangent, sagement, à distance aussi respectueuse que réglementaire, derrière moi. Lorsque le magasin est sur le point d’ouvrir, le responsable nous annonce, de loin, le visage emmitouflé derrière une écharpe saugrenue, que le nombre de clients présents en même temps dans le magasin ne devra pas excéder cinq personnes.
Cette fois, je trouve du pain et plein d’autres choses. C’est Byzance ! La caissière est isolée des clients par un mur de plexiglas érigé sur trois côtés : on dirait le pape dans son véhicule blindé.
En rentrant, sur le rond-point dit « rond-point du sida » à cause de l’étoile hérissée de pointes menaçantes qui trône en son centre, je croise une escouade de flics en gilet pare-balles. Je me demande si ça les protège du virus, car ils n’ont pas de masque, eux…
A midi, on fait presque bombance et, pour fêter ça, je vais à la cave chercher notre dernière bouteille de Chardonnay.
Le soir, j’ai le nez très pris et la gorge qui gratte désagréablement ; ça m’inquiète un peu mais je ne dis rien à Annie. J’ai entendu dire que la moitié des gens déclarent la maladie avant le cinquième jour. On est le 20 mars, c’est le printemps et ça fait quatre jours qu’on est rentrés…